Éditions

code EAN :
9782351223376


Parution : 21/03/2023
Format 13x20
256 pages
18 euros

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Corps sidéral

André Bonmort

Il aura fallu la multiplication et l’accélération des menaces pour nous en convaincre: l’humain seul n’est rien. Le vivant est Un et indivisible.
Un système prédateur, basé sur l’accumulation illimitée, a rompu les pactes vitaux et imposé son dogme, fracturant l’humanité et outrageant la nature.
Face à cette emprise aliénante et à son endoctrinement, la langue est un premier bastion de résistance.
Vaste polyphonie, ce livre donne la parole à tous les maillons de la chaîne du vivant, renouant avec l’unité oubliée du corps sidéral. Les voix révoltées s’insurgent contre les dérives mortifères et exhortent à retisser «la fertile étoffe d’alliance».

Dixième livre d’André Bonmort, Corps sidéral prolonge et accentue le cheminement littéraire engagé à travers Danse avec l’hydre, jetant des ponts entre les genres et mettant en pratique la nécessité de «briser notre grille de lecture du monde pour en agencer autrement les éclats».

 

Extrait :

Je suis de ceux qui te tuent sans arrêt. Je suis de ceux qui te nient cent fois, pour n’avoir pas à te respecter.
Sommes-nous tous ainsi? L’arbre? L’oiseau?...
Sommes-nous tous ainsi ou suis-je seul de mon acabit, rejeton fou égaré au bout d’une branche d’évolution, bourgeon dénaturé voué à l’échec, extrémité condamnée d’une impasse semée de mauvaises intentions?
Sommes-nous tous ainsi, livrés à nos errements inguérissables par une main distraite qui nous a oubliés aussitôt ébauchés? Un carnet de brouillons relégués dans un coin de la galaxie… Essais de tailles –grand, moyen, petit…– Essais de formes –arbre, oiseau, homme…– Schémas de pensées… Coup de gomme…

 

Je moque la posture de ce singe censé m’imiter mais contestant la validité de ma sapience, tout le jour immobile au pied de l’arbre, fesses vissées aux talons, cherchant des poux dans sa propre tête, griffonnant parfois de son ongle sur une feuille morte.
Je l’incite aux ébats et aux acrobaties, la tête plongeant dans la feuillée, la queue s’enroulant autour de la branche, je raille l’affectation de ses mines, souligne la stérilité de son questionnement, dénonce la présomption sous le caprice.
Mais lui fesses vissées aux talons, ignorant mon babil, mon agacement s’exaspère, ce détachement m’horripile, je me laisse choir de l’arbre, me redresse en souplesse, mains sur la tête, et je danse, danse, étrenne ma soudaine élégance, danse autour de lui, le singe fesses vissées aux talons.
« Sur le cul », dis-je dans mon élégance, « Je suis changé en homme », ajouté-je de ma hauteur.
Mais lui attend, fesses vissées aux talons
Attend d’être changé en stupeur.

 

Le cervelet… le bulbe rachidien… Cet être s’acharnant siècle après siècle, génération après génération, s’acharnant à broyer son avenir dans son entonnoir à pulsions! Il se veut tellement singulier! Lui seul, dans l’univers entier, possède un destin auquel il est voué. Lui seul élu des dieux qu’il ne se lasse pas d’inventer.
Sapiens sapiens! Le double brevet de sagesse que s’est décerné le singe savant! La pire des entraves! S’il était resté primate, il aurait pu se débattre, se dénier…
Mais il s’est élu hominidé. Éduqué à la colonne, un temple lui aura poussé…

 

Je tâte craintivement le pouls du primate,
N’ose soudoyer le gardien du génome pour qu’il me libère de cette embarrassante proximité,
Toute ressemblance avec ma singularité conforte mon aversion pour les bas-fonds du catalogue,
Remet en selle le cliché de ma création ex nihilo.
Aveugle à mon obscure évidence, je vis pétrifié dans les coulisses de l’être,
Ne cesse de différer le moment de l’entrée en scène,
Renâcle à prendre place dans le mémento des atavismes.
Ma raideur surjouée, mon lyrisme arithmétique simulent la fidélité à un hermétisme factice,
Mon socle vacille, toujours plus inconfortable ma position de bipède à l’arrêt face à soi-même,
Mais je tiens bon, engoncé dans la mélancolie de ma vitrification.
Je tiens bon.

 

Nourris depuis la nuit des temps à la poussière d’étoiles, dépositaires agréés du limon fécond accumulé dans le lit des siècles, destinataires attitrés des messages les plus inouïs du destin, nous avons pris l’habitude de jouir de ces privilèges sans nous interroger sur les devoirs qu’en contrepartie ils appelaient, nous avons balayé jusqu’à l’idée de cette dette, aujourd’hui encore nous ne l’évoquons que contraints et forcés, acculés à l’évidence de nos manques.
Le regret ne suffit plus, pour effacer l’offense, le remords lui-même est inopérant, il ne s’agit plus de pardon, tant est considérable le préjudice engendré par notre inconséquence,
Il s’agit de poids et de balance et le retour à l’équilibre est inexorable,
Il s’agit de telles masses d’ingratitude et d’indignité qu’il n’est plus question de longtemps d’appoint, de contrepartie, de compensation,
Mais d’un vaste mouvement que rien ni personne ne saurait arrêter ni freiner,
Un tsunami du temps,
Une vague d’indignation née dans la fracture décisive de notre passé, qui depuis lors n’a cessé d’enfler souterrainement.
De tels raz-de-marée se produisent dans les territoires mentaux comme dans les espaces matériels, ils naissent des failles de comportement quand rien ni personne ne peut justifier ni excuser leur béance.

petit nuage
extinction ◦ roman-poème ◦ péril sur le vivant ◦ menace nucléaire ◦ minorités ◦ littérature de résistance ◦ wokisme ◦ antiracisme ◦ anticapitalisme ◦ urgence climatique ◦ littérature expérimentale