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code EAN :
9782351223376


Format 13x20
256 pages
18 euros

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Corps sidéral

André Bonmort

Il aura fallu la multiplication et l’accélération des menaces pour nous en convaincre: l’humain seul n’est rien. Le vivant est Un et indivisible.
Un système prédateur, basé sur l’accumulation illimitée, a rompu les pactes vitaux et imposé son dogme, fracturant l’humanité et outrageant la nature.
Face à cette emprise aliénante et à son endoctrinement, la langue est un premier bastion de résistance.
Vaste polyphonie, ce livre donne la parole à tous les maillons de la chaîne du vivant, renouant avec l’unité oubliée du corps sidéral. Les voix révoltées s’insurgent contre les dérives mortifères et exhortent à retisser «la fertile étoffe d’alliance».

Dixième livre d’André Bonmort, Corps sidéral prolonge et accentue le cheminement littéraire engagé à travers Danse avec l’hydre, jetant des ponts entre les genres et mettant en pratique la nécessité de «briser notre grille de lecture du monde pour en agencer autrement les éclats».

 

Extrait :

Voix de l’être en nous
Elle embrasse dans son champ l’irraisonné comme l’inexprimable.
Et la mémoire de l’enfance de la parole.

La Création de soi est la pire qui soit, ce tâtonnement furieux dans l’absence, cette errance injustifiée interminable
La mélancolie vous assaille vous subjugue vous conquiert elle vous sera indissociable, certitude actée par l’obscur verbiage, ce délayage ne se distingue en rien du modèle trouble qu’il prétend décrire, l’indécis l’évasif y installent le siège mouvant de leur nausée, la frustration tourne en boucle sur le circuit en construction d’une conscience elliptique,
Dieu ou l’un de ses avatars se crispe sur son règne balbutiant pour justifier la narration de sa geste dont s’écrit laborieusement la genèse à travers cette matière approximative,
Cette matière verbale jamais n’atteindra à la subtilité propre à dépeindre un monde idéal, la pâte lexicale engorge la divinité naissante,
La transcendance incorporelle qu’un Néant romanesque avait fantasmée à son image s’engluera dans la misérable matérialité assénée par la novlangue assimilant l’esprit au réel,
L’y réduisant,
Dieu le pressent qui tente sans succès de ravaler ce verbe oppressant
Ce joug sous lequel suffoquera son monde, le mâchonnant le remâchant sans parvenir à le déglutir,
Le vomissant pour finir dans une gerbe d’étoiles
Voie lactée lait caillé.

La roche en son bon sens inné tentant de sauver ce qui peut l’être,
Elle sait la première façonner ces longues-vues de silence qui offriront à la langue son regard le plus perçant,
Elle sait s’emmurer dans sa seule existence pour préserver l’existence du trop-plein dont la menace la logorrhée,
Elle sait la philosophie sans syllogismes uniquement adossée aux barrières d’évidence, elle a banni de ses élans comme de ses accroupissements toute dialectique,
Ses strates ses plis ses rondeurs ses pics résistent de toute leur ferveur passive aux débordements phraséologiques
Et dès lors Dieu dans un caillou dans un grain de sable retrouve-t-il parfois ses petits.

La plante fille de cette diligente lignée poursuivant sans ciller l’œuvre de son ascendance,
Les racines sont vocabulaires elles croissent multiplient déclinent,
Conjuguent la plongée courageuse et l’élévation affairée vers la tige et vers la lumière qu’il importe de glorifier.
Si la magie du verbe opère dans cette chaîne, c’est ici où se nouent indéfectibles luminescent babil et robuste franc-parler pour se résoudre verve plurielle échevelée dans l’indistincte profusion du feuillage, idiome unique en son arôme précis dans la farouche spécificité de la fleur ou du fruit.

La bête nourrie à cet exemple et à cette pulpe végétale
La bête opiniâtre et impétueuse remettant à son tour la langue sur le métier par la rectitude tranchante de ses courses ou leurs sinuosités folâtres,
Par ses luttes sans quartier mâle à mâle dominant tête à tête,
Par ses copulations saison après saison tramées dans un minutieux exorde puis brusquement accomplies dans un jet de sperme ou de frai valant point d’orgue du discours naturel,
Par ses pontes ses éclosions spontanées ses gravidités ressassées sa sagesse vaginale ouvrant sur de nouveaux prolégomènes à de nouvelles aubes animales,
Ce tricot soudain hoquetant sur sa maille, se dévidant lorsque le maigre delta séparant l’humain du simien suffira à brouiller l’eau claire du langage courant.

L’enfant de l’homme alors filtrant appliqué le breuvage, s’attachant de toute sa petite âme à le décanter,
Il s’agit de rendre à la lumière ce qui lui appartient sans heurter la susceptibilité de la terre,
Il s’agit de persévérer dans le mouvement solidaire voué à pallier les déficiences d’une divinité immature,
Il s’agit de prolonger en chacun de ces chérubins crispés sur leur devenir le cri limpide épanoui au sommet fourmillant de la souche philosophale,
Épineuse mission pour ces êtres précaires, leurs étroites clairières matinales cernées des colossales montagnes de certitudes dont l’ombre épaisse se penche sur les berceaux,
Leurs frêles cervelles compressées dans l’étau des contradictions insolubles entre l’incoercible aspiration qui les habite et la coercition méthodique d’un monde infirme qui la refuse.

Le poète alors abordant résolu le delta de la différence résiduelle
Il convoque en lui l’enfant
Qui tutoyait Dieu
Qui par jeu aboyait gloussait ou stridulait
Puis délaisse les facticités de la prière et du mimétisme
Interpole sa scansion dans les rythmes animaux, infiltre les cadences des liturgies sans céder aux affectations du paralangage,
Sa langue désormais l’appelle
Il franchit des gorges accoste des palais aux architectures nouvelles,
Subit sans broncher les secousses tectoniques dont les frissons parcourent interminablement les continents du verbe, s’agrège à ce frémissement jusqu’à en faire sa manière d’être,
Il ne reviendra plus parmi les hommes, pousse sa pagaie à la rencontre des chutes, s’élève à travers les confluences des règnes, les fleuves de lymphe où il godillait mués canaux de sève,
Ici le mouvement lui-même vous transporte il n’est plus utile d’agir, un pouls complice vous intègre au flux volatil, les seules odeurs se disputent l’atmosphère sans parvenir à se la répartir.

Ici le souffle se souvient : il respire.

 

petit nuage
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