Jamais, peut-être, la littérature engagée n’a été aussi nécessaire, tant sont considérables les forces d'un monde marchand qui s’emploie à museler la création authentique. Une littérature en lutte sur tous les fronts d'une société soumise aux diktats de la course au profit mortifère: littérature politique refusant la fatalité autoproclamée du système ultralibéral, et combattant racisme, colonialisme et néocolonialisme; littérature écologique face au saccage aveugle du vivant et à l'urgence vitale de l'action climatique; littérature militante en faveur de la cause féminine et des minorités ignorées ou bafouées; littérature alternative frappant aux portes du futur et tentant d'en réorienter le cours; littérature expérimentale, enfin, opposant aux stéréotypes de la langue étatique et mercantile l'audace et la liberté de la parole créative.
Même aveugles, nous ne cesserons de voir les enfants nus portant au rythme du «progrès» le plancher de votre «civilisation»! Vous avez cessé d’exister lorsque vous avez renoncé à travailler de vos propres mains! lorsque vous êtes montés sur votre première planche à porteurs devenue si vaste que l’horizon en masque les arêtes!…
Louis Mandler, L'Humanité sans sépulture
L’eau incolore, inodore, insipide, l’élément liquide qui constitue 65% de notre corps,
Sœurs d’eau, comment remplirez-vous le réservoir amniotique, si la matière première vient à manquer?
L’eau douce, l’eau qui dort,
Est-il proche, le jour où la pénurie de descendance apposera sa cinglante sentence sur vos ventres stériles?
André Bonmort, Dernier délire du singe savant
Mon histoire est nègre, ma douleur est nègre, et la vérité de mon cri est sortie de ma négritude, de Madinina, de Karukéra, et de l’autre bord: Gorée, Guinée, Congo, de tout partout, et même de ces contrées lointaines, où Chine et Indes abusées ont mêlé leur corps à nos corps dans la moiteur de nos défaites. Je suis la fille de tout le monde, la fille du monde, une citoyenne de l’univers: c’est pour te dire comme j’existe!…
Monette Besry, L'Arbre des anonymes
J’ai lu Conrad et Melville dans ma cave, y’avait les vagues comme des montagnes, j’ai lu le vent qui dérouille, les eaux qui pèsent nous aplatissent. Je sais la peur la trouille bien salée qu’on régurgite. Je sais mon pote je sais.
La vie elle ne nous a pas fait crédit ni aucune ristourne, alors on resquille.
Passager clandestin du cargo des emmerdes.
Sandrine Bourguignon, Quelque part dans la nuit des chiens
je suis passé entre les feuilles du grand livre et ce que j’ai vu tu ne le croiras pas. la bibliothèque respire. c’est son souffle qui va et vient dans les couloirs. nous n’habitons pas sa conscience ni sa mémoire mais ses poumons. nous sommes là pour tourner ses pages.
Bernard Thierry, livre