Regarde-toi parmi les morts-vivants qui tournent en rond: rien n'est détruit, tout est en place, la torture cérébrale tourne à plein régime, à la chinoise de Mao, "lavage de cerveau" même si aujourd'hui la Sainte Flibanque n'utilise plus ce terme (devenu tabou dans notre Société tragilibérale). Mais nous sommes quand même une bonne masse de losers, pense-t-il à voix haute, un bon troupeau bavant trimant vieillissant à même la rééducation par la surconsommation…
Tel un prince en son royaume, Jojo contemple le tapis roulant qui achemine jusqu’à lui, dans un bruit infernal de verres entrechoqués, les plateaux qui reviennent de salle. Je dis prince parce qu’il y croit, lui aussi, comme toi, à cette aristocratie prolétarienne nourrie aux sueurs et aux peurs de la grande industrie. La lourde: celle du Nord. Celle qui a plié, depuis. Celle qui nous les a vomis ici, ses ouvriers hautement qualifiés, hautement cirrhosés, hautement cassés en deux.
Ils ont fini par admettre la nécessité d’apprendre à cesser de penser hors des schémas positifs. Et de contenir leurs désirs dans des limites compatibles avec la bonne marche des affaires. L’asservissement bien compris est un privilège.
Depuis que le monde du travail m’avait dérobé à mes parents, à ma vie d’enfant et de famille, j’étais pour ainsi dire mort, et je ne voulais qu’une chose, vivre, car j’en avais marre de mourir vivant, assis à un bureau en placoplâtre; j’attendais le jour où la grande porte s’ouvrirait, où le coup de pied au cul me jetterait sur le trottoir rejoindre la collection de gens à la rue –la CGR–, et où je verrais enfin le jour m’ouvrir grand ses bras.