Ne m’appelez pas Le Vivant quand votre brutalité et votre aveuglement s’emploient à mon anéantissement, aiguillonnés par la frénésie d’une course au profit mortifère!
Ne m’appelez pas Humanité quand vous me partagez en deux indécentes moitiés, l’une mille fois plus peuplée, l’autre mille fois plus prospère!
Et ne m’appelez pas La Parole si vous n’êtes résolus à vous dresser face au pouvoir insatiable dont la respectabilité dévoyée se nourrit de la déchéance de la planète et de ses enfants les plus désarmés!
Oubliez mon nom! Il est midi sur l’abîme et à l’horizon de vos cieux inflammables les foudres s’amoncellent…
Ce livre est né du projet peu raisonnable de fondre, au creuset d’une même langue, poésie militante, satire sociale, questionnement existentiel et manifeste littéraire; il interpelle sans complaisance – mais non sans dérision – le rapport de l’humain de notre temps avec son milieu, avec ses semblables… et avec lui-même.
Élaborant le récit d’une conscience en rupture, proposant une autre grille de lecture de notre époque, les écrits d’André Bonmort contestent les schémas mentaux dominants, appellent à rétablir dans ses droits la cohésion du vivant. Jetant des ponts entre les genres, ils mobilisent également les synergies de l’intertextualité.
Parution le 14 octobre
Ne m’appelez pas Le Vivant quand votre brutalité et votre aveuglement s’emploient à mon anéantissement, aiguillonnés par la frénésie d’une course au profit mortifère;
Quand se perpétuent jusqu’à l’indigestion, défiant les limites de la boulimie, les obscènes mastications de votre banquet de carbone.
La bascule du cosmos, les saisons aux trousses, votre propre destin désarçonné,
Rien ne semble devoir freiner la fureur de votre fringale
Rien ni la débâcle dont je cristallise l’angoisse,
Atterré je vois battre en retraite la cohorte défaite des couleurs et des formes
Et s’approcher pas de géant l’instant ordinaire ouvrant sur un au-delà d’irrémédiable (la nature ne conserve pas ses brouillons).
Nourris depuis la nuit des temps à la poussière d’étoiles,
Dépositaires agréés du limon fécond accumulé dans le lit des siècles,
Destinataires attitrés des messages les plus inouïs du destin,
Vous avez joui à l’excès de ces privilèges en vous appliquant à dédaigner les devoirs qu’en contrepartie ils réclament;
Vous avez balayé jusqu’à l’idée de cette dette, quand avec trop d’insistance elle vous sollicitait,
Aujourd’hui encore vous ne l’évoquez que contraints et forcés, acculés à l’évidence de vos manques.
Le regret ne suffit plus, pour effacer l’indignité, le remords lui-même est inopérant, il ne s’agit plus de pardon, tant est considérable le préjudice engendré par l’impudence de votre attitude,
Il s’agit de poids et de balance et le retour à l’équilibre est inévitable,
Il s’agit de telles masses d’avidité, de bêtise, d’ingratitude et de paresse qu’il n’est plus question de réparation, de compensation,
Mais d’un vaste mouvement que rien ni personne ne saurait arrêter ni freiner,
Un tsunami du temps,
Une vague d’indignation et de désespérance née dans la fracture décisive de votre passé, et qui depuis lors n’a cessé d’enfler souterrainement.
De tels raz-de-marée se produisent dans les territoires mentaux comme dans les espaces matériels,
Ils naissent des failles de comportement quand rien ni personne ne peut justifier ni excuser leur béance.
Ne l’entendez-vous pas?
Ce n’est qu’un souffle mais tellement considérable, il est le souffle incarné,
Charrie des siècles des millénaires et bien plus, des âges, des ères et tous ces découpages du temps que l’on croyait immuables amarrés au passé mais qui défilent se disloquant, s’effritant avant de se désagréger, retournant à la pénombre dont probablement ils sont nés;
C’est un cri, un formidable cri qui réinvente la douleur, l’enracine au plus profond, et vous savez dans la survivance de votre conscience cette douleur sans fond suscitée par la perte irrémédiable de tous ces passés, fatale conséquence de votre inconséquence; chaque forme de vie ayant un jour éclos sur cette Terre était un trésor que vous avez pillé avant de le dilapider puis de l’anéantir avec l’acharnement le plus inexplicable,
Mais pire encore, hurle cette douleur qui ne sait plus se taire, pire est l’avortement de ces avenirs qui jamais ne naîtront,
Quand vous auriez pu, accuse la douleur, quand vous auriez pu être leurs accoucheurs, quand vous auriez pu les élever dans ce champ clos, cet espace préservé de l’espace, ce joyau dont l’usufruit vous avait été dévolu,
Les régaler de la mélodieuse respiration du temps que vous n’avez eu de cesse d’oppresser, de dérégler, l’astreignant à haleter au rythme de vos désirs pervertis jusqu’à l’asphyxie dont ce cri est l’envers menaçant et le probable terme.