L’utilisation de l’art à des fins de propagande prend corps à l’aube des sociétés historiques. De l’Antiquité à la fin du règne de Louis XIV s’élabore un système de communication et de représentation des pouvoirs qui lie le politique et le religieux à la création artistique.
Ainsi, pendant des siècles, la création est-elle assujettie à des mécanismes de soumission et d’aliénation, la notion de liberté étant reléguée à un arrière-plan très lointain – si tant est qu’elle existe. Objectivement l’artiste subit des conditions d’exploitation et de dépendance matérielle induisant, pour sa survie, davantage un esprit d’approbation que de libre création ou de contradiction. Musique, danse, peinture, sculpture, architecture, littérature: dans la totalité du champ artistique, cet essai nous le montre, les émotions, les signes, les symboles, les rituels ont donc été instrumentalisés et mis au service d’un narcissisme politique promoteur de relations aussi bivalentes qu’ambiguës entre l’art et l’autorité, le soutien mécénal relevant ainsi rarement de préoccupations esthétiques en première intention.
Si, au travers de la commande, l’artiste souhaite légitimement manifester son propre talent, il lui faudra choisir entre les trois options qui s’offrent à lui: la servitude, l’indifférence ou la contestation.
Marc Signorile est musicologue et sociologue de l’art. Ses recherches sociohistoriques et esthétiques portent sur le sens des phénomènes de création. Auteur d’un ouvrage Musique et société […] publié aux éditions Minkoff où il a créé une collection dédiée aux manuscrits musicaux anciens, d’un ouvrage sur Marseille paru chez Équinoxe, il a collaboré à des corpus de référence comme le New Grove Dictionary of Music and Musicians ou le Die Musik in Geschichte und Gegenwart.
Cette synthèse, qui reste accessible malgré quelques exigences conceptuelles, pourrait bien devenir une lecture de référence dans le corpus de tout étudiant en histoire de l’art.
Frédéric Saenen - Le Salon Littéraire
L'ouvrage de Marc Signorile, Art et Propagande, embrasse une période chronologique importante, puisqu'il interroge les relations entre l'art et le pouvoir de l'Antiquité à la fin du règne de Louis XIV. Fort d'érudition, l'auteur éclaire par ce schéma diachronique les formes et les enjeux de communication et de représentation des pouvoirs, qui instaurent un lien complexe et ambivalent entre le politique, le religieux et la création artistique. Un des faciès majeurs de ce débat envisagé par l'auteur tient dans le rapport entre la propagande et l'art matérialisé par la conjugaison possible de «leurs manifestations sonores, plastiques, textuelles ou architecturales, investissant à la fois le monde religieux et profane». L'originalité de l'ouvrage réside ainsi dans l'extrême habileté de l'auteur à pouvoir tenir un dialogue constant entre tant de sources artistiques variées, même si la dimension principale reste la musique.
Bassir Amiri - Cahiers d'Histoire
La propagande se matérialise dans l’art de mettre en valeur et de faire partager une idée, une notion, l’image d’un individu, une politique. En ce sens, la propagande constitue un système. Ce système reste abstrait jusqu’à ce qu’il rencontre une possibilité de projection hors de lui-même, un élargissement de sa perspective. L’art offre cette possibilité, en ce sens qu’il touche l’èthos de chacun jusqu’à la persuasion, et qu’en dernière instance, sa dimension temporelle et éthique l’autorise à transcender la politique. La propagande utilise ainsi une pensée artistique exacerbée et confrontée aux limites de sa finitude, puisque l’art comme moyen de modeler le monde par le biais de l’esthétique est finalement le fantasme de tout créateur. Aussi, de façon schématique, l’émergence de la notion de propagande est-elle probablement concomitante de la naissance du geste artistique.
D’autre part, l’art comme la propagande se voient confrontés au phénomène de la réception et demandent un public. Pour cette raison, les cercles de pouvoir manifestèrent très tôt le souci de régenter l’art et d’en tirer parti, pour éviter d’en devenir les domestiques. Des relations de réciprocité s’installèrent alors entre l’art et le pouvoir. Celui-ci subvenait au temporel nécessaire à l’activité de création, tandis que les moyens d’expression artistique veillaient et entretenaient en retour son éclat, sa gloire et sa nécessaire pérennité. Cependant, si l’art a besoin des puissances qu’il sert ainsi que du contexte qui le voit naître et se développer, il survit toujours, et de multiples façons, à ces contingences pratiques. Cela lui octroie un double statut, qui peut paraître ambigu sans l’être réellement, de témoin historique et de force finalement autonome dans laquelle s’exprime une transcendance esthétique.
La république d’Athènes n’existe plus mais les temples ont traversé les siècles comme les tragédies d’Eschyle, Sophocle et Euripide. L’Église de Rome connaît des crises, mais le corpus grégorien surprend encore. Le pouvoir absolutiste a disparu, mais Versailles, temple des arts réunis, continue de fasciner. On comprend ainsi que les œuvres, portées par une idée politique ou religieuse autant qu’elles la portent, touchent la sensibilité mais nécessitent pour être pleinement intelligibles un effort intellectuel de recontextualisation et de mise en abyme. Car la justification politique ou religieuse de l’art de propagande s’efface avec le temps, et finit par être reléguée dans un passé si lointain qu’elle se dilue aux portes de l’oubli. Ce phénomène explique en partie le manque de consistance ontologique que certains peuvent ressentir en présence des œuvres du passé.
D’autre part, le sens commun perçoit en général l’idée de propagande de façon péjorative, au motif qu’il s’agirait d’un artifice tendant à supprimer l’indépendance de la pensée, le libre arbitre, à anesthésier le pouvoir critique et à paralyser l’intelligence. Devant la puissance émotionnelle, la perfection formelle voire l’aspect sublime de nombreuses œuvres du passé, nées d’un souci de propagande plus ou moins exprimé directement, il devient légitime de considérer qu’il existe différents types de propagande qui varient en fonction des contextes et des personnalités. La propagande grossière, brutale et anti-humaniste, qui engendre des œuvres esthétiquement inexistantes, ne doit pas être confondue avec une propagande de représentation, qui, si elle sert parfois une idée pouvant sembler discutable, n’en relève pas moins de la transmission inspirée.