Pierre Leroux (1797-1871) est un fils du peuple qui devint philosophe autant qu'homme d'action, à la tête de quatre grands journaux et comme représentant du peuple sous la Seconde République. Ayant participé à l'aventure saint-simonienne en 1830-1831, il fut le premier à pointer le danger collectiviste.
Leroux est aussi un écrivain, un penseur à la française, dans la lignée de Rousseau. Mais il vécut après la Révolution: il a vu l'histoire bouger, fut acteur et témoin de l'avènement du monde moderne et des premiers conflits du libéralisme et du socialisme. Les synthèses que proposa ce penseur encyclopédique, dès les années 1830, restent prophétiques pour le lecteur du jeune XXIe siècle. Leroux combattit les inégalités de classe, de race et de sexe et explora tous les grands problèmes en les mesurant à l'aune de l'humanité, placée au cœur de sa réflexion.
Bruno Viard est professeur à l'université de Provence où il enseigne la littérature du XIXe siècle. Il travaille sur le lien social aussi bien dans son versant psychologique que sociologique. Ce livre met en valeur une de ses spécialités: la philosophie politique. Il a notamment publié en 2007, aux éditions Le Bord de l'eau, une Anthologie de Pierre Leroux, inventeur du socialisme.
C'est à son refus des idéologies préétablies que Pierre Leroux doit manifestement sa capacité à percevoir les limites des mouvements de pensée auxquels il adhère. Saluons un homme qui à chaque étape de sa vie a su se remettre en question et qui a toujours tenu compte de son expérience antérieure pour tenter une nouvelle synthèse. Saluons ce penseur qui a consacré son existence à réfléchir à la meilleure manière d'organiser la société des hommes et merci au professeur Viard de nous le faire (re)découvrir.
Jean-François Foulon – Le Magazine des livres
"Pierre Leroux, penseur de l'humanité" est une sorte d'introduction à l'esprit et au parcours du philosophe français, disparu en 1871. Ses réflexions sur la liberté, l'égalité, l'individualisme, l'Etat, la question morale, mais surtout sur le monde moderne font de lui un penseur éclairé, incontournable pour remettre en perspective les évolutions du monde.
Raphaël Rouillé - Page des Libraires
L'essai de Viard ne se contente pas de résumer la pensée leroussienne. Il en révèle également des ressorts inattendus, comme par exemple son inspiration symboliste ou encore la soif de connaissances que le directeur du journal Le Globe entretenait pour l'Orient…
La conclusion de Viard offre un portrait complet et contrasté de ce personnage attachant, trop érudit pour n'être qu'un doux rêveur, trop altruiste pour ne pas devenir la risée des cyniques.
Frédéric Saenen – Sitartmag
L'année passée par Leroux au sein de l'Église saint-simonienne l'a formé à la critique de l'économie politique et rendu sensible au phénomène religieux. En négatif, elle l'a alerté contre le danger holiste. Il forgera le terme socialisme pour désigner ce danger, bien connu depuis l'Inquisition et la Terreur, désormais réactivé par l'extrême gauche, sous une forme encore virtuelle, d'absorption de la personne au sein d'un gros animal social.
En résumé, Leroux prend conscience, fin 1830, que la liberté n'est qu'une partie de la vérité, et, fin 1831, que le principe de société n'est, lui aussi, qu'une partie de la vérité. La solution est dans la synthèse, la difficulté étant que ces deux valeurs sont potentiellement en conflit l'une avec l'autre: «Deux pistolets dirigés l'un contre l'autre». Là gît le caractère problématique des temps modernes, et même du lien social en général.
Leroux forge le néologisme socialisme en 1834 pour répondre au néologisme individualisme forgé par les saint-simoniens en 1825. Les deux termes ont alors sous sa plume un sens également péjoratif. Il donnera plus tard un sens républicain à socialisme, on le verra. l'individualisme prévaut lorsque la liberté absolue pulvérise le corps social. La liberté se change alors en asservissement pour le plus grand nombre. Avec le socialisme, à l'inverse, nous dirions aujourd'hui le totalitarisme, l'idéal de solidarité et d'égalité, outrancièrement affirmé et imposé, étouffe la liberté. «L'individu devient uniquement fonctionnaire; il est enrégimenté, il a une doctrine officielle à croire et l'Inquisition à sa porte. L'homme n'est plus un être libre et spontané, c'est un instrument qui obéit malgré lui, ou qui, fasciné, répond mécaniquement à l'action sociale, comme l'ombre suit le corps.» Leroux a donc acquis une vision binoculaire qui lui permet, dès le début des années 1830, de dénoncer avec la dernière vigueur l'économie politique anglaise, le «capital», l'«exploitation des prolétaires par les bourgeois», et, en même temps, de faire les mises en garde les plus fermes contre «le socialisme sans contrepoids»: «Le socialisme absolu n'est pas moins abominable ni moins absurde que l'individualisme absolu dont nous venons de voir les déplorables effets. […] qu'il soit maudit et rejeté pour toujours!».