«La réalité qu'il nous faut critiquer ne peut être considérée comme un simple objet extérieur, nous ne pouvons pas parler du monde sans dire comment nous y vivons. J'aurais préféré sans doute juger de loin les mœurs et les opinions de mon époque, traiter la société des hommes avec dédain et me hisser sur ses débris épars, si je n'étais pas moi-même dans la barque qui chavire.»
Griefs d'une femme relate quelques étapes d'un périple dans un monde insensé où rien ne semble fait pour accueillir l'individu égaré.
De l'enfance on se réveille un jour, au milieu d'un monde surchargé, déchiré, équipé, produisant une cacophonie inintelligible et l'on considère avec stupeur cette extrême complexité des formes, ces amoncellements et ces structures inqualifiables. Il nous faut abandonner nos rêveries cosmiques et porter notre attention à ces choses dont on apprendra bientôt qu'elles portent des noms et qu'elles ordonnent des sciences.
Je garde en mémoire ce sentiment d'évidence rompue, qui sonna le glas d'une vision passive. Je me souviens d'avoir interrogé ce brouillard et sa seule existence me semblait le signe d'un dérèglement. qu'avais-je demandé au monde, et n'étais-je venue là que pour m'y égarer? Et ne rien saisir? La société n'aurait-elle pas dû être faite expressément pour y accueillir ceux qui y naissent? Et aurais-je voulu y venir, je n'y serais pas venue occuper seulement une place asservie au fonctionnement des choses.
