Parce qu'il s'est profondément impliqué dans les conflits qui ont déchiré l'Espagne de son temps, qu'il a représentés dans ses œuvres avec une extraordinaire lucidité, Goya (1746-1828) est sans doute le premier peintre politique de l'histoire.
Utilisant à la fois l'œuvre peint, l'œuvre gravé et les albums de dessins, éclairés chaque fois que cela était possible par les écrits de l'artiste, Jacques Soubeyroux montre comment l'univers mental de Goya et son œuvre se sont construits dans un combat permanent avec le monde qui l'entourait. Un combat politique pour conquérir toute la «liberté positive» (Rousseau) possible dans les institutions d'un système monarchique à l'agonie. Une liberté esthétique qui se traduit par une autre manière de représenter le réel, en rupture avec la sublimation traditionnelle du portrait royal et des scènes de bataille, et par un recours à la caricature et au grotesque, à l'encontre du culte du beau prôné par le néo-classicisme. Une liberté qui s'exprime pleinement dans la satire d'une société de fin d'Ancien Régime profondément inégalitaire et dans un réquisitoire contre les horreurs de la guerre et la folie meurtrière de l'être humain, liant inséparablement éthique et politique avec une résonance universelle toujours actuelle.
Jacques Soubeyroux, agrégé de l'université, docteur ès-Lettres, est professeur émérite d'espagnol de l'université Jean Monnet de Saint-Etienne et Président d'honneur de la société des Hispanistes Français. Il est spécialiste de l'histoire sociale et culturelle de l'Espagne du XVIIIe siècle à laquelle il a consacré sa thèse de doctorat (Paupérisme et rapports sociaux à Madrid au XVIIIe siècle, 1976) et sur laquelle il a publié de nombreux articles, dont plusieurs sont consacrés à Goya.
Goya est effrayant. Effrayant de lucidité. Le premier peintre politique de l'histoire. C'est ainsi que Jacques Soubeyroux définit Francisco Goya (1746-1828). Cet universitaire spécialiste de l'histoire sociale espagnole a passé des années sur son sujet. Il a regardé, encore et encore, 688 peintures, 300 gravures, 900 dessins, et il en est arrivé à cette conclusion. Son Goya politique nous entraîne dans les turbulences d'un Ancien Régime malmené par une Europe en crise, une situation dont l'artiste fut le témoin.
Laurent Lemire - Livres Hebdo
Goya, donc, «véritable acteur de la crise de la société d’Ancien Régime et de l’effervescence libérale des premières décennies du XIXe siècle», écrit Jacques Soubeyroux, pour qui la réflexion politique du peintre, dessinateur et graveur tend vers une «fusion du politique et de l’éthique». Son essai tient de la profonde synthèse entre bien des intuitions en la matière.
Jacques Sterchi - La Liberté
"Parler ici de revendication de classe, dans une perspective marxiste, serait sans doute anachronique. Mais on retrouve dans l'hommage rendu par Goya au travail du peuple cette double dimension politique et humaine précédemment mise en lumière", écrit Jacques Soubeyroux en sa conclusion générale à son essai Goya politique à lire comme un roman. Lui qui, dès son introduction affirmait (modestie ou référence aux seuls spécialistes?) que son travail n'apporterait pas de grandes nouveautés sur la biographie du peintre de la Casa del Sordo, nous surprend, presque à chaque page, par l'étonnant regard, par l'éclairage neuf qu'il porte sur celui dont nous pensions à peu près tout connaître.
Jacques Lovichi - La Marseillaise
L'Histoire de l'art nous aide à comprendre l'Histoire elle-même. Dans Goya politique, de Jacques Soubeyroux, c'est une certaine idée du témoignage politique qui est en marche.
Sophie Sendra - BSC News
Désincarcérant Goya du carcan national où l'on a tendance à l’enfermer (lui qui aurait dénoncé les crimes napoléoniens par patriotisme), Soubeyroux le fait accéder au patrimoine universel de l’angoisse humaine. Il transfigure le maudit en messager de la compassion et réhabilite pleinement les quatre maîtres mots qui guidèrent réellement sa démarche : Vérité, Justice, Raison et Liberté.
Ainsi, sous ce jour nouveau, el sordo accède à la lumière au terme d’une quête solitaire, souterraine, et plus d’un siècle avant le Guernica de Picasso, son talent, selon le superbe mot d’Yves Bonnefoy se tient à l’«avant-garde de la vigilance spirituelle».
Frédéric Saenen - Parutions.com
Dans l’évolution de la pensée de Goya et de son oeuvre, cet essai recherche et réorganise des notations jusque-là plus ou moins dispersées dans l’ensemble de la critique. Il s’accompagne d’analyses éclairantes qui ajoutent aux impressions durables que laisse sa lecture.
Michel Dubuis - Dix-huitième siècle
On s’accorde généralement à considérer que les années 1790 ont marqué un tournant dans la vie et dans l’œuvre de Goya. Un tournant que la formule Lux ex tenebris est susceptible de traduire à plusieurs niveaux. D’abord parce que la résurrection des corps, à laquelle elle renvoie symboliquement, peut s’appliquer à la guérison miraculeuse de Goya au printemps 1793, après l’attaque cérébrale qui l’avait tenu entre la vie et la mort pendant plusieurs mois, provoquant une paralysie et une cécité temporaires et une surdité définitive. Les conséquences physiques et morales de cet épisode ne font pas de doute: on sait que Goya sera pendant le restant de ses jours sujet à de violents maux de tête qui assombriront son caractère, mais surtout que, privé des joies de la musique qu’il affectionnait tant ainsi que des agréments de la conversation, et en particulier des échanges avec les intellectuels de l’élite éclairée qui l’avaient tellement enrichi, il se replie sur lui-même et il approfondit sa réflexion sur les autres et sur le monde qui l’entoure. Une preuve de l’intellectualisation de la pensée et du discours de Goya est précisément l’utilisation de cette expression Lux ex tenebris comme légende du dessin 117 de l’Album C qui représente une jeune femme descendant du ciel pour apporter la lumière à la foule qui s’agite dans les ténèbres. Cette dialectique ombre VS lumière et le motif de la vérité triomphante éclairant le monde sont directement empruntés au répertoire symbolique du mouvement de pensée européen du XVIIIe siècle qu’on va désormais retrouver de façon récurrente dans l’œuvre de l’artiste aragonais. Après une période de maturation, dont on a pu observer quelques manifestations dans les derniers cartons de tapisseries, la satire devient le trait dominant de toute l’œuvre de Goya: elle se fait progressivement plus incisive, plus politique en multipliant ses cibles et en diversifiant ses formes d’expression. Et surtout elle fait une place de plus en plus grande à l’imagination alors même qu’elle semble plus proche du réel. Les mêmes images symboliques acquièrent une signification nouvelle: c’est le cas de la dialectique entre l’ombre et la lumière qui illustre d’abord l’opposition entre l’ignorance et le savoir, dans le droit fil du discours des Lumières, avant de représenter, dans Lux ex tenebris et plusieurs autres dessins des Albums C et F, la lutte ouverte entre les conservateurs et les libéraux après la restauration de Ferdinand VII. S’il a récupéré et mûri l’héritage idéologique des Lumières, le Goya du XIXe siècle n’est plus le Goya académicien et courtisan des décennies antérieures: partiellement libéré des contraintes d’une société en pleine déliquescence et dont il a mesuré tous les vices, il peut désormais inscrire au centre de ses œuvres sa vision critique du monde qui l’entoure. C’est ce face à face entre l’homme et son temps, avec l’engagement politique qu’il fait naître, qui sera l’objet de cette seconde partie.