À l’aube des Temps Modernes, l’avenir des bourgeois du Moyen Âge n’est pas encore tranché: ces marchands, financiers, entrepreneurs vont-ils se fondre parmi les dominants des sociétés d’Ancien Régime, ou vont-ils faire accepter que leur poids économique et social, devenu majeur, se traduise par un rôle dirigeant dans la conduite des politiques? S’il est légitime de leur attribuer une influence décisive dans l’évolution des savoirs, des arts et de la pensée qui colore la Renaissance et la modernité, ils ne sont jamais les seuls à intervenir. Ils se mêlent aux laïcs qui réclament plus d’autonomie et de liberté vis-à-vis de l’Église et de son contrôle clérical, ils sont aux côtés des princes qui cherchent à asseoir leur pouvoir temporel souverain ici-bas, leur influence se retrouve dans les mouvements artistiques et scientifiques, mais il n’y a pas de bourgeoisie ni d’esprit bourgeois à l’état pur.
Leurs expériences, de l’alliance politique à l’insurrection, les ont incités à la prudence mère du conformisme social, mais elles leur ont aussi apporté un capital de sentiments et de ressentiments qui les a poussés à l’audace des revendications. Sentiment de leur supériorité face aux travailleurs salariés qu’ils commandent et sentiment de la valeur de leurs compétences s’allient aux ressentiments et à la frustration quand ils se heurtent au mépris social venu des nobles et des grands qui jalousent leur richesse. L’histoire de leur future hégémonie n’est pas encore écrite mais elle se nourrira de ces héritages contrastés.
Simone Roux est professeur émérite d’histoire médiévale à l’Université de Paris VIII. Spécialiste de l’histoire de la société urbaine aux XIVe et XVe siècles, elle est notamment l’auteur de La Maison dans l’histoire (Albin Michel, 1976), Le Monde des villes au Moyen Âge, XIe-XVe siècles (Hachette, 1994 et 2004), Paris au Moyen Âge (Hachette, 2004) et Christine de Pizan femme de tête, dame de cœur (Payot, 2006).
Simone Roux, spécialiste de l'histoire urbaine, propose un véritable essai sur la bourgeoisie médiévale, sa culture et ses aspirations. Un livre clair, appelé à devenir une référence.
Laurent Vissière - Historia
Simone Roux, professeure émérite à l’université Paris-VIII, spécialiste de l’histoire du Moyen Âge – des XIVe et XVe siècles en particulier –, a été bien inspirée de reprendre l’enquête, commencée dès l’époque romantique par François Guizot et Jules Michelet, sur les origines de la bourgeoisie occidentale, et de publier ce livre qui allie rigueur scientifique et clarté de l’expression la plus agréable.
François Berriot - L'Humanité.fr
L'ouvrage est mené de manière pédagogique, en définissant concepts et termes techniques: il peut donc s'adresser à un public cultivé autant qu'aux historiens de métier. Dans cet esprit, des exemples précis sont développés autour d'événements ou de personnages marquants, comme la reddition des bourgeois de Calais, Guibert de Nogent ou Jacques Cœur. Le discours est structuré par des titres nombreux, scandant le raisonnement. Les références bibliographiques sont peu nombreuses, mais précises et accessibles à tous les lecteurs francophones, car les synthèses françaises et récentes ont été privilégiées, même concernant le reste de l'Europe.
François Rivière - Cahiers d'Histoire
La bourgeoisie est née de la ville médiévale, comme le mot «bourgeois» en conserve le souvenir vivant. Le bourgeois est celui qui habite le bourg, c’est-à-dire l’agglomération construite par des marchands et des artisans aux portes de la cité. Dans le cas de la France, «bourgeois» est un terme qui apparaît en 1080 dans la Chanson de Roland et «bourgeoisie» est repéré en 1240 dans un texte juridique, Les Assises de Jérusalem. Le lien entre essor urbain proprement médiéval et bourgeoisie se révèle indirectement dans le fait que le terme n’est pas employé en Italie, là où le déclin des cités fut moins net, moins profond et moins long que dans le reste de l’Occident. Les habitants des villes s’y appellent «citoyens». À l’origine, il y a donc une connotation d’extérieur à la cité que traduit le mot bourgeois. Cette origine est plus ancienne que ce que les écrits consignent: les premières mentions de ces mots relevées dans des textes enregistrent une réalité sociale déjà bien établie à la fin du XIe siècle. Il convient donc de partir de cette réalité sociale neuve, la naissance et le développement des villes au Moyen Âge, essor qui marque l’Occident tout entier: il commence au Xe siècle en Italie et en Flandre, atteint la France, l’Angleterre, la péninsule Ibérique, l’Allemagne au cours du XIIe siècle et, des pays germaniques, il gagne l’Europe orientale et nordique au XIIIe siècle. C’est dire qu’il n’a ni les mêmes rythmes ni les mêmes inflexions au long de ces deux siècles dans un espace aussi varié. Notre propos ne vise pas à l’analyser comme le ferait une histoire urbaine, mais, en le résumant à quelques grands traits, à l’éclairer de plusieurs points de vue pour faire ressortir les divers aspects de la naissance et de la croissance des bourgeoisies. Cette nouveauté qu’est la ville dans une société conduite par les maîtres du sol et de ceux qui le travaillent, s’impose d’abord dans les faits, c’est le poids des choses. La place conquise s’exprime alors par les mots qui, avec retard, doivent adapter le discours et les analyses à la réalité concrète. C’est le poids des mots. Enfin, cette conquête de reconnaissance s’accompagne aussi d’un ensemble de jugements et d’appréciations, c’est le poids des sentiments et des ressentiments. Soit une triple enquête pour dévoiler un sujet qui est resté longtemps très discret dans les sources écrites qui nous restent. Le rôle et la place des bourgeois comme d’autres sujets, tels les femmes ou le peuple, ne peuvent être atteints que par des traces qu’ils laissent dans des textes qui se préoccupent rarement d’eux principalement ou qui ne donnent que la vision de ceux qui dirigent et qui décident. On sait qu’il faut être prudent et méthodique pour tirer des informations de ces témoignages partiels et biaisés. À ces conditions, l’enquête peut être fructueuse : quels que soient l’indifférence ou le mépris qu’expriment les écrits contemporains de cet essor urbain, la force de la réalité marque la documentation qui ne peut totalement ignorer les nouveautés que sont la croissance des villes, celle de leur population, celle des richesses qui s’y implantent.